16 avril 2024

Présentation du livre : Anthropologie de la décroissance

Les différents types de “décroissance” – Causerie en 78 questions/réponses

Question : La décroissance est à la mode. En cette période de soi-disant crise économique qui n’en finit pas de durer, la croissance est pourtant annoncée comme seul remède efficace pour la juguler. A titre personnel, êtes–vous croissant ou décroissant ?

Réponse : À titre personnel, je suis décroissant depuis pas mal d’années déjà, disons depuis l’âge de trente à trente cinq ans, puisque, selon les données biologiques, il est avéré que chaque être humain commence un déclin physique et intellectuel à partir de cette période. Je suis donc résolument décroissant, à mon corps défendant certes, mais néanmoins dans le cadre d’une réalité qui s’impose à tous.

Question : Lorsqu’on cherche la définition du mot décroissance dans la plupart des dictionnaires, on obtient « état de ce qui diminue, de ce qui décline » . En fouillant un peu dans les nouvelles moutures du Larousse et du Robert qui prennent en compte les évolutions du sens des mots par l’esprit commun du moment, on trouve quelque chose comme ceci : « slogan mettant en cause l’économisme et stigmatisant les dégâts sociaux et culturels du dogme de la croissance ». Que faut-il donc comprendre quand on entend parler de « Décroissance » ?

Réponse : C’est précisément le problème qui est posé, à savoir celui de l’utilisation du mot « décroissance » par différentes personnes ayant des visions sensiblement divergentes. Je pense qu’il faut se référer à ce que vous avez indiqué en premier lieu, c’est à dire la définition du dictionnaire. Le dictionnaire dit que la décroissance, c’est la situation de quelque chose qui diminue, le terme « décroissance » ayant pour synonyme : déclin, diminution. Et donc, les acceptions qui ont été imposées ou suggérées par un certain nombre de mouvances politiques sont des acceptions qui ne sont pas conformes à la définition initiale du mot. La décroissance n’est pas une idéologie ni une option philosophique, c’est, bien au contraire, la réalité physique constatée d’un système qui décroît.

Question : À votre avis, comment les gens se positionnent-ils par rapport au concept de « décroissance » ? Si vous deviez dresser une carte idéologique de la décroissance, quels seraient ses grands contours ?

Réponse : Par rapport à une situation putative de déclin de l’activité économique, donc de décroissance, l’opinion publique se positionne de façon divergente, voire passionnée. Je distingue cinq catégories de positionnements :

La première catégorie est celle que je nomme les « croyants adorateurs de la croissance ». Par le biais d’une double négation, je dirais que ce sont des gens qui ne croient pas à la décroissance. En fait, lorsque nous posons la question : « comment est-ce que les gens se positionnent par rapport à la décroissance ? », cela revient à se demander dans le même temps : « Comment se positionnent-ils par rapport à la croissance ? ». Cette première catégorie de personnes est donc résolument croyante en la croissance, et, je m’en expliquerai sans doute tout à l’heure, j’assimile ce positionnement à une religion. C’est la raison principale pour laquelle je les appelle « croyants adorateurs de la croissance ». Ils représentent l’immense majorité de la population, soit environ 80 %.

Il y ensuite ceux que j’appelle les « agnostiques inquiets ». L’agnostique est une personne qui ne croit pas à ce que croit le croyant, mais qui n’est pas pour autant convaincu que le croyant se trompe en croyant à ce qu’il croit. Ainsi, l’agnostique considère qu’il n’existe pas assez de preuves avérées pour aller dans le sens de la croyance, et pas assez de preuves avérées non plus pour aller dans le sens de la réfutation. En conséquence, l’agnostique attend d’avoir des éléments scientifiquement ou objectivement prouvés, des preuves factuelles, pour décider de croire ou de ne pas croire. Mais tous ces agnostiques sont néanmoins inquiets parce que la survenue putative de la décroissance, leur apparaît comme quelque chose de passablement néfaste. Ils sont donc dans une situation d’attente assez inconfortable. Ils représentent environ 10 % de la population, et recouvrent, grosso modo, l’ensemble disparate de la mouvance écologiste.

Si nous additionnons 80 % plus 10 % nous obtenons 90%. Il ne reste donc plus que 10 % pour une segmentation que je subdiviserais en trois. La première subdivision, que nous pouvons considérer comme la troisième catégorie, est composée de ceux que j’appelle les « athées constructivistes ». Avec le terme d’athée, nous franchissons un pas significatif dans l’abaissement du niveau de conviction. Ces athées, en effet, sont des gens qui ne croient pas à la durabilité de la croissance, et, par voie de conséquence sont convaincus de l’installation d’une décroissance à plus ou moins long terme. Par ailleurs, je les qualifie de « constructivistes » parce qu’en réponse à cette survenue qu’ils estiment comme étant quasiment inéluctable, ils commencent à imaginer les contours d’une organisation socio-économique qui pourrait l’accompagner.

La quatrième catégorie, toujours à classer dans les derniers 10 %, est composée de ceux que je nomme les « athées transitionnistes ». Ce sont également des gens qui ne croient pas à la durabilité de la croissance et qui croient tout aussi fermement à la survenue de la décroissance, mais à la différence des constructivistes, ils s’adaptent par une transition au jour le jour, sans pour autant mettre en place, ou imaginer, un système politique global pour le court et le moyen terme.

Enfin, il existe une cinquième catégorie qu’il convient de ranger encore dans les 10 %, sachant que les catégories 3 à 5 composent chacune environ 3% de la population totale. Je place dans cette catégorie les « objecteurs anticléricaux activistes », plus communément connus sous le patronyme d’ « objecteurs de croissance ». Ce sont des gens qui, avant tout, s’opposent volontairement à la perduration de la croissance. Leur différence sensible avec les athées vient du fait qu’ils ne sont pas forcément convaincus de la survenue inéluctable de la décroissance, et qu’ils se mobilisent donc pour mettre en œuvre des actions visant à enrayer le système croissanciste en cours. Nous sommes là dans un positionnement résolument activiste et, si nous reprenons la comparaison des croissancistes avec les religieux, nous pouvons tout aussi bien considérer les objecteurs de croissance comme des anticléricaux. Cette appellation d’objecteur de croissance évoque volontairement celle d’ « objecteur de conscience », désignant ceux qui s’opposaient à l’obligation du service militaire. Ils s’autoproclament également « décroissants culturels », pour bien pointer leur différence avec les décroissants « athées constructivistes » qui fondent leur conviction sur l’analyse bio-économique de Nicholas Georgescu Roegen, et l’application de la loi de l’entropie.

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