29 mars 2024

Faut-il « chercher à rassembler » ?

Lorsque nous échangeons entre sympathisants, nous entendons parfois des phrases de ce genre : « les décroissants, nous ne sommes pas si nombreux, alors il faut éviter de nous diviser ….» . Cette crainte mérite réflexion car elle soulève de nombreuses questions, dont notamment trois fondamentales (de nature stratégique), dont découleront par la suite plusieurs autres sous-questions (de nature tactique). Les trois questions fondamentales sont les suivantes :

  1. Quel est notre objectif politique ?
  2.  Comment réagir aux critiques ?
  3.  Qu’est-ce qu’un décroissant ?

1.Quel est notre objectif politique ?

La réponse à la première question doit être claire pour tous les sympathisants et militants de la décroissance, hypothèse axiomatique, mais également pour le grand public en général, hypothèse qui va dépendre étroitement de la cohérence et de la clarté de notre communication. Ne pas se tromper soi-même, ni tromper les autres (même sans le vouloir) est donc un impératif, une condition sine qua non de notre action.

Avant même que de définir dans le détail les contours de l’objectif, ou des objectifs, que nous poursuivons, nous devons être convaincus de la nécessité d’opérer cette clarification avant toute chose.

Rien ne serait pire en effet que d’avancer à vue avec le seul objectif vague d’agiter le mot magique de “Décroissance” et d’attendre de voir ce qu’il se passe… Cette démarche opportuniste serait le contraire d’une vision saine de la politique et s’assimilerait de fait aux regrettable techniques de marketing ou de sondage d’opinion destinées à identifier les attentes du public dans le but de lui livrer un produit de pensée susceptible de recueillir son adhésion.

Bref, nous devons être les dépositaires d’analyses, de théories et de principes spécifiques, construits et affinés au sein de notre laboratoire d’idées, ce qui n’exclut pas cependant que ces ressources puissent être inspirées par tel ou tel mouvement de pensée, mais ce qui signifie, en tout état de cause, que ces dernières possèdent un caractère original et unique permettant d’identifier clairement le parti.

Le terme le plus adéquat pour désigner et ensemble est celui d‘idéologie, qui, si nous reprenons la définition du Larousse, désigne un système d’idées générales constituant un corps de doctrine philosophique et/ou politique pouvant servir de base à un comportement individuel ou collectif, ou, encore plus globalement, un ensemble de représentations par lesquelles les hommes vivent leurs rapports à leurs conditions d’existence.

Ce terme d‘idéologie possède l’avantage de définir assez exactement le Programme pour une société de l’après croissance, mais il a également l’inconvénient de subir une connotation négative ou péjorative, dans certains cas et de la part de certains activistes précisément adeptes de l’opportunisme politique à géométrie variable ou de la floutisation permanente des idées permettant leur adaptation en fonction des modes ponctuelles.

Parallèlement aux options concrètes du programme, ce terme générique d‘idéologie doit être mis en avant comme un atout réel, et nous devons avoir en permanence à notre disposition les arguments nécessaire pour désamorcer toutes les habituelles railleries sur ce point.

Une idéologie est donc un système d’idées pouvant servir de base à un comportement, de même qu’un principe est une proposition claire qui fonde un raisonnement et détermine des modes d’action. Est-ce à dire, pour autant, qu’une idéologie est une doxa établie une fois pour toutes et ne pouvant pas être amendée sous aucun prétexte, ce qui validerait de fait certaines critiques par principe, calomnies sommaires, avec, en ombre portée, l’implicite accusation de despotisme ? Certes non, une idéologie peut (et doit) évoluer, au contact notamment des critiques argumentées qui lui sont adressées par tous les contradicteurs honnêtes et loyaux.

2.Comment réagir aux critiques ?

Nous devons prendre en compte toutes les critiques après en avoir déterminé au préalable le caractère recevable. Ce critère de recevabilité des critiques ne doit en aucun cas se fonder sur notre subjectivité, c’est à dire sur le fait que telle critique va nous déplaire sur le fond, ou encore constituer une « objection pénible » à contredire.

Nous devons, pour établir cette recevabilité, ne considérer que les données objectivement constitutives de la critique, et au premier chef, vérifier que ces données se réfèrent à des articles exacts du Programme pour une société de l’après croissance et pas des articles falsifiés ou mal compris. Dans cette dernière hypothèse, notre réaction devra se limiter une réponse à l’auteur de la critique (publique ou non, selon le cas) lui signifiant les raisons pour lesquelles nous considérons sa critique comme non recevable.

Dans l’hypothèse où une critique aura été jugée recevable, nous devons alors le signifier à son auteur, lui indiquer que nous allons étudier les arguments exposés et qu’il sera tenu informé de la suite donnée à cette étude.

3.Qu’est-ce qu’un décroissant ?

Cette question constitue un préliminaire indispensable pour pouvoir traiter clairement la problématique posée par la question évoquée au début : « les décroissants, nous ne sommes pas si nombreux, alors il faut éviter de nous diviser ….».

L’idée selon laquelle tous les décroissants doivent s’unir au prétexte qu’ils sont peu nombreux, et que, selon le dicton populaire, l’union fait la force mérite naturellement d’être prise en considération. Toutefois, il existe également une autre affirmation, apodictique celle-ci, qui dit qu’une mésunion n’est pas une bonne union.

Or, il est un fait avéré que la mouvance décroissante n’est pas homogène et que toutes ses composantes sont loin de poursuivre le même but dans le cadre de leur engagement politique. En effet, de la frange décroissante façon greenwashing d’EELV, à l’eschatologie apolitique des effondristes, en passant par le clientélisme semi-décroissant de la France Insoumise, le mot magique de « décroissance » est utilisé à des sauces diverses et variées, pas toujours très claires, et souvent teintées d’alibi occultant des desseins de pure politique politicienne.

A l’instar de Voltaire déclarant : «gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge», nous ne devons pas pêcher par excès de naïveté et nous jeter dans les bras du premier décroissant venu (ou l’accueillir dans les nôtres), au risque de nous perdre dans la confusion des idées, au mieux, ou dans l’erreur de trajectoire politique, au pire.

Ainsi, dans le monde impitoyable de la politique où la plupart des acteurs avancent masqués (et parfois même, paradoxalement, à leur insu), il importe de pouvoir distinguer, dès le premier coup d’oeil, nos amis de nos ennemis. Pour ce faire, nous avons besoin d’établir un cahier des charges très précis permettant de déterminer facilement qui est décroissant et qui ne l’est pas (de notre point de vue), mais aussi et surtout, qui prétend être décroissant mais qui ne l’est pas en réalité, catégorie assez répandue que nous qualifierons du terme générique d’imposture.

Ceci étant posé, nous ne devons pas contester pas qu’il puisse y avoir plusieurs acceptions du terme décroissant, correspondantes chacune à des conceptions ou visions différentes de la décroissance. Ce que nous devons contester par contre, c’est que telle vision puisse s’arroger le droit de revendiquer pour elle seule la paternité, ou la propriété du terme comme nous le voyons faire par certaines mouvances dont certaines n’hésitent pas à décerner des certificats de décroissance du haut de leur chapelle particulière.

Dans la réalité, n’importe qui peut se déclarer décroissant dans la mesure où l’utilisation du terme n’est pas protégée par une réglementation quelconque. Cette situation n’est d’ailleurs ni gênante, ni choquante dans la mesure où elle ne fait que traduire une liberté d’expression dont la limitation (souhaitée par certains) serait manifestement inquiétante pour la démocratie. La question n’est donc pas de savoir qui a le droit d’utiliser le mot décroissant, ou qui a le droit de s’intituler « mouvement de la décroissance », mais bien de savoir de quoi nous parlons lorsque nous parlons de décroissance.

La première chose que nous devons faire, c’est donc de formuler notre définition de la décroissance, tout en admettant que d’autres puissent en formuler de différentes, sans que pour autant nous soyons fondés à leur reprocher d’utiliser ce terme sous une autre acception, au prétexte que nous considérerions notre définition comme la seule valable. Bien plus nous devons exiger la réciproque de nos voisins, c’est à dire qu’ils fassent l’effort de définir clairement leur décroissance, d’une part, et qu’il acceptent de ne pas revendiquer le droit exclusif d’utilisation du terme, d’autre part.

C’est ainsi qu’un débat salutaire doit s’engager entre tous les courants utilisant le mot “décroissance” et aboutir : soit à une définition commune du concept de décroissance, soit à un constat d’approche multiforme du concept (chaque approche faisant alors l’objet d’une définition particulière). Une telle démarche apporterait une clarification nécessaire au niveau du grand public qui pourrait ainsi se positionner plus facilement par rapport à des discours paraissant similaires sur la forme, mais en réalité souvent radicalement dissemblables le fond.

Cette définition nécessaire de telle ou telle décroissance ne peut se satisfaire de quelques mots, ni même de quelques lignes. Elle doit consister en une formulation claire de l’idéologie qu’elle recouvre, car la décroissance est bien un « système d’idées générales constituant un corps de doctrine philosophique et/ou politique pouvant servir de base à un comportement individuel ou collectif », tel que nous l’avons déjà défini plus haut.

Pour ce qui nous concerne, ce travail de définition est déjà bien avancé. Il transparaît dans le Programme pour une société de l’après croissance , les différentes publications afférentes et a été finalisé sous forme d’un énoncé clair et exhaustif dans le glossaire . Et ce n’est qu’à partir de cette synthèse idéologique que nous pourrons, par comparaison avec des formulations concurrentes, déterminer les points de rapprochement et d’achoppement de la façon la plus précise.

Enfin, nous devons exiger de nos voisins/cousins les deux conditions rédhibitoires suivante:

  1. toute formulation d’une définition synthétique du mot “décroissance” par tel ou tel courant doit s’accompagner impérativement d’un catalogue précis de mesures destinées à garantir la mise en oeuvre effective des intentions exprimées dans la définition synthétique
  2. tout courant se référant à telle ou telle définition/conception du terme “décroissance” doit impérativement pouvoir répondre positivement à toute demande de débat contradictoire (public et filmé, si possible) émanant tel ou tel autre courant utilisateur du terme

Dores et déjà, il apparaît que plusieurs idées-forces, constituant autant de lignes de démarcation avec les autres courants utilisateurs du terme décroissance,  figurent dans notre définition synthétique dudit terme, à savoir :

  1. La symétrie des deux concepts d’inéluctabilité de la décroissance et de non-durabilité de la croissance
  2. L’impossibilité du développement durable
  3. L’impossibilité de l’état stationnaire
  4. La consubstantialité de la croissance, du capitalisme et de l’oligocratie
  5. La nécessité de sortir complètement du capitalisme

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