Un nouvel équilibre pour demain
Après un tout petit demi siècle d’une croissance économique hallucinante et jamais vue depuis les cinq millions d’années que l’homme existe sur la planète, nos rapports à la réalité se sont brouillés à tel point que ce léger battement de cils sur l’échelle du temps nous semble devenu un axiome péremptoire pour les décennies à venir. Or, dans quelques années, la réalité de la géologie va entrer en collision avec celle de l’économie et la décroissance industrielle s’en suivra inéluctablement. Dès lors l’adaptation à ce déclin non désiré deviendra le seul problème important à nos yeux et nous balayerons promptement tous les autres sujets de préoccupation traditionnels qui nous mobilisent aujourd’hui.
En résonance avec l’adage populaire, à quelque chose malheur est bon, la vraie question n’est pas tant de savoir si nous saurons nous adapter demain à de telles conditions, car la faculté adaptative de l’homme n’est plus à démontrer, mais plutôt d’imaginer quel gain nous pourrons retirer de ce déclin industriel inéluctable. Au-delà des simplismes habituellement distillés par de doux philosophes, peu au fait des réalités de l’économie politique, sur le resserrement des liens automatiquement procuré par la raréfaction des biens, l’important sera de suivre l’évolution de la confrontation de l’individu aux nouvelles forces aliénantes qui ne manqueront pas de le menacer dans cette situation de déflation inévitable. La solution viendra t-elle de l’État tel qu’il est constitué aujourd’hui, fort – en France – de ses 11.000 lois et 130.000 décrets encadrant nos moindres faits et gestes privés ou professionnels dans presque tous les domaines de la vie courante et de son faramineux budget de 320 milliards d’euros ponctionnés sur le fruit de notre labeur quotidien ? Il est permis, pour le moins, d’en douter….
Depuis plus de 1.500 ans et la chute de l’empire romain, les systèmes politiques successifs régissant nos sociétés ont reflété une certaine idée de la trajectoire humaine. Barbarie éclairée, féodalité décentralisée, monarchie constitutionnelle, république égalitaire, collectivisme marxiste, et aujourd’hui capitalisme étatique globalisé sont autant d’idéologies, définissant à une époque donnée le rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d’existence, mais aussi de doxas, traduisant ce rapport imaginaire en système de représentations mentales courantes : Bien, Mal, Classe, Ordre, Progrès, Croissance, etc.
La civilisation industrielle dans laquelle nous vivons aujourd’hui est certainement la plus formidablement riche et la plus opulente que l’homme ait connu depuis les douze mille années qui nous séparent de la révolution néolithique. Erigée dans le triple culte du progrès technique, de la croissance économique et du pouvoir d’achat, elle se caractérise au plan social par une prise en charge grandissante de l’Individu par l’État en contrepartie d’une diminution de sa Liberté, préfigurant ainsi de sa déresponsabilisation à court terme, voire de son infantilisation à moyen terme. Ce moyen terme risque toutefois de ne jamais survenir car notre civilisation industrielle se trouve condamnée au déclin par les lois de la thermodynamique corrélativement à l’épuisement prochain des ressources naturelles sur la prédation desquelles elle est fondée (voir NG. Roegen « Demain la décroissance »), et par les lois de la comptabilité corrélativement à la conduite d’un modèle de gestion économique structurellement déficitaire (voir C. Laurut “L’impasse de la croissance”).
Dans un tel contexte annoncé, il est temps d’imaginer une nouvelle organisation sociétale susceptible de succéder au déclin inéluctable de la civilisation industrielle actuelle. Bon nombre de prospectivistes prenant en compte les données écologiques du problème, ne voient de méthode acceptable, pour faire face à cette décroissance, que dans une étatisation encore plus renforcée de la société, appuyée par une réglementation et une coercition toujours plus implacables à l’encontre de l’individu agissant. Cette option est fondée sur la croyance indéfectible en la vertu d’un Etat-Tout-Puissant, seul détenteur possible de la voie à suivre vers le Bien Commun. Or, une étude objective et factuelle de l’évolution de la société industrielle depuis sa création vers le milieu du dix-huitième siècle et jusqu’à aujourd’hui, montre sans ambiguïté que le système politique qui l’a accompagnée est en train d’apporter la preuve de sa faillite historique, tant pour ce qui concerne la gestion de la dot terrestre, que celle de la société des hommes.
Cet ouvrage ne prétend pas constituer à lui seul une charte définitive, encore moins un projet abouti et directement applicable pour amorcer la transition vers une société nouvelle adaptée aux enjeux du futur, mais doit être reçu comme une simple contribution à la réflexion argumentée sur le sujet. Par ailleurs, il est important de noter que, si certains des raisonnements présentés ici peuvent se retrouver plus ou moins exactement ailleurs, isolés ou associés à d’autres, dans quelques plate-formes, chartes ou programmes de courants divers, rattachés à d’aucunes mouvances décroissante, anarchiste, libertarienne ou marxiste, ce n’est que par leur association et leur interdépendance spécifiquement organisées, qu’ils contribuent à donner à ce projet son originalité et son caractère unique.
De cette démarche pourrait, pourquoi pas, émerger un mouvement politique qui entreprendrait de dessiner les contours d’une société rejetant les dérives tant capitalistes que bureaucratiques ou collectivistes, optimisant les expériences du passé pour construire l’avenir et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, miser sur la réalité d’un individu responsable plutôt que sur l’illusion d’un état vertueux.