26 décembre 2024

Hommage à Pierre Fournier

Au commencement les écolos étaient décroissants et le premier décroissant s’appelait Pierre Fournier. Ce n’était pas un type particulièrement marrant, et pourtant il était chroniqueur-dessinateur dans le journal le plus drôle et iconoclaste que la presse française ait connu et ne connaîtra sans doute jamais plus : l’Hara-kiri/Charlie Hebdo des années 1969/1973.

Ce précurseur créa en 1972 son propre mensuel, premier organe de presse à contester ouvertement la croissance et dénommé « La Gueule Ouverte« , avant de décéder subitement d’un infarctus début 1973, après seulement 4 numéros. A cette époque, et bien avant la candidature écologiste de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974, la contestation de la civilisation industrielle  n’était pas très implantée dans l’imaginaire des militants gauchistes, et on n’en parlait pas une seconde dans les cellules de la Ligue Communiste. Cette posture était même plutôt « droitisante », ce qui fait sourire aujourd’hui lorsqu’on voit les gauchistes revendiquer cette paternité et offre un terrain de réflexion intéressant pour tous ceux qui rêvent de débloquer l’indéboulonnable clivage droite/gauche. Ce Fournier, dont la quasi-totalité des décroissants actuels ne connaît même pas l’existence, venait accessoirement de l’Algérie Française mais, plus significativement, organisait la première manifestation anti-nucléaire autour de la centrale de Bugey (« Bugey-cobayes ») en 1970 et tentait de créer en France « la première commune à mode de vie écologique » dans le village savoyard de Montandry une année plus tard.

Fournier ne se reconnaîtrait certainement pas dans les écologistes et décroissants actuels, lui qui écrivait dans Charlie-Hebdo n°12 le 8 février 1971 : «  A propos de la nomination de Robert Poujade, 1er ministre de l’environnement. Il était grand temps [pour le pouvoir] de créer un service de récupération pour canaliser la prise de conscience écologiste ».

De plus, il pressentait déjà l’imposture en marche en écrivant dans le numéro 4 de La Gueule ouverte en février 1973 : « Si l’on accorde au mot écologie son sens étroit, mais précis, de science du milieu vital, disons vite que ce journal n’ambitionne pas d’être un journal écologique. Si on lui accorde le sens, vaste et vague, de subversion radicale et globale qu’il a pris en quelques années, disons que ce journal n’a pas encore réussi à devenir écologique, mais qu’il y tend, du moins avec bonne volonté ». Cette modestie, doublée d’une clairvoyance prémonitoire, tranche avec la suffisance des écolopolitologistes, usurpateurs sémantique du terme écologie et le leurre de tous ceux qui rêvent d’une décroissance encadrée par des lois étatiques en milieu restant par ailleurs capitalistiquement inchangé.

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