La société industrielle croissanciste dans laquelle nous vivons tous aujourd’hui est toute récente. Elle n’a que 170 ans d’existence, alors que le genre homo est sur la terre depuis 3 millions d’années, que l’homo sapiens, c’est à dire l’homme actuel, a achevé son évolution il y a 300.000 ans et que cet homo sapiens a abandonné son mode de vie chasseur pêcheur cueilleur depuis 10.000 ans. 170 dix ans à peine donc pour ce système croissanciste, et voici qu’il se trouve déjà confronté à une impasse globale, dans tous ses domaines fondamentaux d’activité, alors que le système chasseur pêcheur cueilleur, lui, a perduré pendant 300.000 ans, et que le système post-néolithique a perduré pendant 10.000 ans.
Cette impasse de la croissance est une impasse globale, présentant néanmoins de multiples composantes justifiant son étude d’un point de vue anthropologique, c’est à dire sous tous ses aspects, à la fois physiques, biologiques, physiologiques, mais également culturels, religieux, psychologiques et politiques, en poursuivant l’objectif de s’approcher d’une monographie sur le genre Homo décrivant et analysant certains faits anthropologiques caractéristiques de cette hominisation croissanciste.
Il y a tout d’abord l’impasse physique, sans aucun doute la plus importante, parce que génératrice de toutes les autres, qui ne sont que des déclinaisons ou externalités négatives de la cause première et essentielle : l’ignorance des lois de base de la physique par l’activité humaine depuis le début de ce qu’il convient d’appeler la révolution industrielle.
Cette impasse physique se matérialise dans les chiffres par une impasse comptable, qui nous amènera à la contestation du PIB en tant qu’indicateur de bonne santé de l’économie et à la mise en lumière de nombreuses charges ignorées par la comptabilité de la société industrielle croissanciste.
Après l’impasse comptable, nous traiterons de l’impasse financière, c’est à dire de la vanité des moyens imaginés par les gestionnaires croissancistes pour masquer la situation de faillite virtuelle à laquelle nous sommes confrontés.
Ces trois premières composantes, mettant en lumière des éléments intrinsèques de la croissance, c’est à dire situés à l’intérieur d’elle même et comme relevant de son essence propre, sont complétées de quatre autres composantes qui révèlent plus particulièrement des éléments extrinsèques de la croissance, c’est à dire des représentations et manifestions a priori extérieures à son essence constitutive, mais directement reliées à elle en tant que conséquence directe de son existence.
Du même coup, notre regard se portera directement sur l’espèce humaine, en proie à une mutation accélérée du genre homo sapiens vers le genre homo industrialis. Cette démarche nous conduira dans un registre moins technique, relevant plus de l’anthropologie sociale et nous amènera à aborder des thèmes relevant plus précisément des sciences humaines.
C’est ainsi que l’impasse sanitaire, traitera de l’un des besoins primordiaux de l’homme, la santé, dont il attend de l’organisation sociétale moderne une protection maximale. De ce point de vue, et à la lumière des graves problèmes sanitaires que rencontre actuellement la société industrielle, nous évaluerons le niveau de satisfaction atteint par rapport à cette attente.
La cinquième composante est relative au besoin numéro un de l’homme, celui qui conditionne tout simplement sa survie biologique : l’alimentation. Sur ce point, le constat sera implacable : la société industrielle croissanciste risque de ne pas être en mesure de nourrir, dès le moyen terme, la quantité de population qu’elle a générée depuis sa création. De ce point de vue, l’impasse alimentaire est évidente.
Puis nous verrons que ces différentes sous-impasses, constitutives de l’impasse globale de la croissance, produisent un effet négatif sur l’évolution des connaissances et des pratiques sociales, nous conduisant tout droit dans une véritable impasse culturelle, sixième composante.
Enfin, ces analyses nous amèneront à constater que le mode d’exercice du pouvoir choisi pour gérer la société croissanciste ne permet pas de résoudre les problèmes que cette dernière a elle-même créés. C’est l’impasse politique, septième composante.
Mais, en guise de préambule à cette étude anthropologique au long cours, que je déroulerai tout au long des semaines à venir, j’ai pensé qu’il était nécessaire de re-situer le contexte général dans lequel la société de la croissance s’est installé, a pu s’installer, et de rappeler les caractéristiques et les étapes de la trajectoire que l’homme a résolument, mais imprudemment, choisie depuis deux siècles à peine.
Car, En effet, après 3 ou 4 millions d’années d’évolution du genre homo, de l’australopithèque à l’homo sapiens, homo sapiens que nous pouvons considérer comme étant l’équivalent biologique de l’homme d’aujourd’hui, après 3 ou 4 millions d’années, donc, de perpétuation d’un mode de vie stable du type « chasseur pêcheur cueilleur », un premier changement est intervenu il y a environ 10.000 ans, changement suffisamment important pour que les historiens-paléontologues le dénomme révolution : la révolution néolithique.
Il n’entrera pas dans le cadre de mon propos de ce jour de détailler, ou de tenter d’expliquer les causes de ce changement de mode de vie, bien qu’il soit évident que la (ou les) réponse(s) pouvant être apportées à cette question sont autant de clés pour comprendre la situation du monde présent. Je laisserai ainsi ce sujet crucial de côté pour l’instant en attendant peut être d’y consacrer une étude ultérieure et spécifique.
Suite à cette révolution néolithique qui modifia progressivement, mais radicalement, le mode de vie de l’homo sapiens, la civilisation humaine a encore évolué par étapes successives, dont les principales furent, dans l’ordre chronologique : l’Antiquité (de -2.500 av. JC à 500 ap. JC), le Moyen âge (de 500 à 1.500), les Temps modernes (de 1.500 à 1850), et, dernière en date, la Société industrielle, dans laquelle nous vivons aujourd’hui et qui dure donc depuis 170 ans seulement, et qui va faire plus particulièrement l’objet de notre étude.
La Société industrielle, en effet, se distingue notamment des quatre autres périodes (néolithique, antiquité, moyen âge et temps modernes) par le fait qu’elle a entrepris d’utiliser de façon intensive et illimitée certaines ressources naturelles fournies gratuitement par la dot terrestre, dénommées « ressources finies ». C’est cette pratique, inconnue pendant les âges précédents, associée aux découvertes scientifiques et techniques de l’esprit humain, qui a rendu possible une activité nouvelle, l’Industrie, combinant l’utilisation des ressources dites énergétiques (pétrole, gaz, charbon,…) et des ressources dites minérales (fer, aluminium, zinc, plomb, nickel,…).
Ces ressources naturelles finies, qu’elles soient de nature énergétiques ou minérales, présentent trois caractéristiques fondamentales qui sont les suivantes :
- elles sont extraites du sol de la planète,
- elles y existent en quantité limitée depuis des millénaires,
- elles ne sont pas sont pas renouvelables à l’échelle humaine.
Cette activité nouvelle, l’Industrie, a permis de fabriquer toutes sortes d’objets qui ont facilité la vie quotidienne de l’homme, mais elle a été également utilisée pour produire la quasi-totalité des aliments indispensables à sa vie biologique.
Le développement de la Société industrielle s’est accompagné d’une augmentation vertigineuse et homothétique de trois données fondamentales, dont nous aurons l’occasion de reparler abondamment tout au long de cette étude : la consommation de ressources naturelles finies (énergie et minerais), la production de biens (le fameux PIB) et la population.
Ainsi, sur l’ensemble de ces 10.000 ans qui nous séparent de la période néolithique, les courbes d’évolution de la consommation de ressources naturelles finies, de la production de biens et de la population, présentent un tracé linéaire et quasi-constant jusque vers le milieu du 19ème siècle, époque à partir de laquelle ces trois courbes se cabrent simultanément, et de façon asymptotique, traduisant ainsi en termes chiffrés une multiplication impressionnante, en moins de 200 ans, de chacune de ces trois données restées pourtant quasiment stables pendant plus de 10.000 ans.
Pour ce qui concerne la consommation de ressources naturelles finies, c’est à dire le prélèvement (ou la prédation si l’on préfère) par l’homme de la dot naturelle fournie gratuitement par Dame Nature, nous sommes passés de Epsilon à 1 milliard de tonnes de -10.000 ans à 1850 apJC, soit une consommation moyenne de 100.000 tonnes/an, mais nous sommes passés de 1 milliard de tonnes à 80 milliards de tonnes en 170 ans, de 1850 à 2020, soit une moyenne de 470 millions de tonnes/an. En synthèse nous sommes donc passés d’un rythme moyen de prédation des ressources naturelles finies de 100.000 tonnes/an, à un rythme moyen de 470 millions de tonnes/an. Soit 4.700. fois plus élevé.
Pour ce qui concerne la production de biens, mesurée par le PIB, elle a varié de Epsilon à 500 milliards d’euros en 10.000 ans, soit une augmentation moyenne de 50 millions euros/an, mais elle a varié ensuite de 500 milliards d’euros à 74.000 milliards d’euros en 170 ans, soit une augmentation moyenne de 435 milliards d’euros/an. En synthèse nous sommes donc passés d’un rythme moyen d’augmentation de la production de biens de 50 millions euros/an à un rythme moyen de 435 milliards d’euros/an. Soit 8.700. fois plus élevé.
Enfin, pour ce qui concerne l’augmentation de la population, dont nous pouvons raisonnablement penser qu’elle n’a été rendue possible que par l’accroissement des deux facteurs précédents, ces deux facteurs étant par ailleurs évidemment consubstantiels entre eux, nous sommes passés de 5 millions à 500 millions en 10.000 ans, soit un accroissement moyen de 45.000 âmes/an, contre un accroissement de 500 millions à 8 milliards d’âmes en 170 ans, soit soit une moyenne de 44 millions/an. En synthèse nous sommes donc passés d’un rythme moyen d’augmentation de la population mondiale de 45.000 homos sapiens/an, à un rythme moyen de 44 millions d’homos sapiens/an. Soit 880 fois plus élevé.
Donc, un rythme de prédation des ressources naturelles finies multiplié par 4.700 en 170 ans, un rythme de production de biens multiplié par 8.700 et un rythme d’augmentation de la population multiplié par 880, depuis le début de la société industrielle, et que nous dénommerons « société industrielle capitaliste croissanciste », nous reviendrons bien sûr abondamment et largement sur ce qualificatif.
Ces trois chiffres sont nets, factuels et incontestables et nous pourrions même clore notre propos ici en tirant la conclusion qu’une folie inconnue s’est emparée d’homo sapiens depuis quelques décennies et qu’il n’est d’autre issue à ce excroissance d’activité qu’une décroissance inexorable dont seule la date précise de survenance reste incertaine, ainsi que les caractéristiques détaillées de ses modalités.
Mais nous sommes également là pour observer nos propres comportements et les analyser indépendamment de toute autre considération. Et c’est dans cette optique d’observation et d’analyse qu’il apparaît que la société industrielle s’est engagé sur un chemin qui présente toutes les caractéristiques d’une voie sans issue, autrement dit d’une impasse.