Le taux de retour énergétique (TRE), est un facteur déterminant de la durabilité et du succès de la société industrielle, qui lui a permis notamment de compenser, donc de masquer, pendant la période de ses débuts (disons de 1850 à 1970), le mode comptablement et structurellement déficitaire de son activité, en équilibrant la charge de variation négative de stock par un produit d’excédent de gestion équivalent. Nous n’entrerons pas ici dans les détail de ce mécanisme comptable qui sera largement étudié dans le prochain chapitre sur l’impasse comptable.
Ce qu’il important de retenir immédiatement, par contre, c’est le rôle de ce taux de retour énergétique TRE ou EROI (Energy Return On Investment) d’un point de vue strictement physique. En effet, le TRE représente le ratio d’énergie utilisable acquise à partir d’une source donnée d’énergie, rapportée à la quantité d’énergie dépensée pour obtenir cette énergie, soit la formule :
énergie utilisable
énergie dépensée
Quand le TRE d’une ressource est inférieur ou égal à 1, cette source d’énergie devient alors ce qu’on appelle un puits d’énergie, et ne peut plus être considérée comme une source exploitable, puisque l’énergie nécessaire pour acquérir une quantité d’énergie donnée est supérieure à cette quantité d’énergie obtenue. De ce point de vue, nous verrons plus loin que la loi comptable rejoint la loi physique puisque le résultat déficitaire du compte d’exploitation du processus traduit en termes financiers son aberration sur le plan énergétique. Cette implacable réalité du TRE, qui doit toujours être supérieur à 1 pour être acceptable, est largement ignorée du grand public, alors même qu’elle est la clef de la survie de la société industrielle et qu’elle a lui permis de conduire un système de production apparemment bénéficiaire, pendant plus d’un siècle.
Bien plus, il est un raisonnement couramment répandu professant qu’il suffira toujours de mettre des moyens supplémentaires pour aller chercher des ressources d’accès devenus plus difficiles, ou même que le système d’ajustement des prix et de la monnaie permettra de le faire facilement. Ces raisonnements tiennent, au mieux du paralogisme, au pire d’un de ces mythes modernes entretenus par les zélateurs aveugles de la croissance infinie, tel celui de la découverte prochaine d’une énergie abiotique (exemple la théorie du pétrole filtrant librement depuis le magma terrestre) et de sa mise en œuvre libre de toute pollution.
La simple logique, pourtant accessible à la compréhension de n’importe quel profane en sciences physiques, nous indique qu’une quantité donnée d’énergie produite par un procédé nécessitant l’utilisation d’une quantité d’énergie supérieure, conduit à un appauvrissement qui ne peut être masqué que par quelqu’un ayant un intérêt particulier à le faire.
Pour illustrer ce petit théorème, prenons un exemple simple. Supposons que le réservoir d’essence de votre automobile soit presque vide et que vous ne puissiez vous ravitailler qu’à un point situé à 100 km de chez vous et ne pouvant pas vous vendre plus de 5 litres. Si votre automobile, qui est très économique, ne consomme que 3 litres d’essence aux 100 km, il vous faudra quand même utiliser 6 litres d’essence pour pouvoir acheter et ramener chez vous 5 litres d’essence nouvelle. Chacun conviendra aisément que cette opération est impensable, et pourtant c’est ce qui se produit quotidiennement dans la société moderne sans que personne ne s’en rende compte. Cet exemple, volontairement simpliste, illustre parfaitement la mystification dont est victime le citoyen ordinaire sur le plan énergétique.
Mais revenons à la substantifique moelle de notre TRE, ou EROI. Celui-ci étant un ratio qui donne l’efficacité du processus de production, un TRE de 5 indique que l’utilisation d’une unité énergétique donne un gain net de 4 unités et que le point mort est atteint pour un TRE de 1, où le gain énergétique net est alors égal à 0. L’apport théorique du TRE rend donc possible la comparaison efficace des différentes sources d’énergie entre elles, du bois de chauffage à la biomasse en passant par l’énergie solaire photovoltaïque, d’une part, et leur évolution dans le temps en valeur relative et absolue en fonction de l’augmentation de la difficulté (voire de la facilité) de leur mise en œuvre, d’autre part.
L’estimation du TRE, obtenue par le calcul mathématique de la quantité d’énergie primaire nécessaire pour l’extraction de la source d’énergie évaluée mesure un processus physique simple. Pour autant, il n’existe pas de consensus sur les activités pouvant être incluses dans la mesure du TRE d’un processus économique. Ainsi, jusqu’où devons-nous prendre en compte la chaîne d’opérations intervenant dans l’exploitation d’une source d’énergie ? Par exemple, si nous employons de l’acier dans les machines servant à extraire le pétrole, faut-il inclure dans le calcul du TRE du pétrole, l’énergie utilisée pour fabriquer cet acier ? Ainsi que l’énergie utilisée pour construire l’usine qui produit l’acier ? Et également l’énergie employée pour nourrir les ouvriers qui ont construit cette usine ?
Cette remarque nous conduit au concept d’énergie grise que nous développerons dans un prochain article. En attendant, et sans prendre en compte cette énergie grise, voici un tableau récapitulant les TRE des principales sources d’énergie et leur évolution dans le temps :
Ce tableau permet de voir que, lorsque le pétrole a commencé à être utilisé comme source d’énergie, il suffisait en moyenne de mettre en œuvre l’équivalent énergétique d’un baril pour trouver, extraire et raffiner environ 100 barils. Ce ratio a décliné régulièrement au cours du siècle dernier pour arriver, dans certains cas comme les forages en offshore profond, au niveau de 3 barils utilisables pour 1 baril consommé, alors que ce ratio se maintient encore aux environs de 10 pour 1, dans les champs faciles d’Arabie Saoudite comme ceux de Gawhar.
Depuis la découverte du feu, les humains ont fait appel de façon croissante à des sources d’énergies exogènes pour démultiplier la force musculaire et c’est la raison pour laquelle de nombreux analystes économiques ont traduit ce système par le concept d’esclave énergétique.
Thomas Homer-Dixon montre que la baisse du TRE dans les dernières années de l’Empire Romain fut l’une des raisons de la chute de l’Empire d’Occident au Ve siècle ap. J.C. Dans son livre The Upside of Down (non traduit en Français à ce jour), il suggère que le TRE permet en partie d’expliquer l’expansion et le déclin d’autres civilisations comme celle des Mayas et de l’Empire Khmer d’Angkor. Joseph Tainter, de même, considère que la baisse du TRE est une des causes principales de l’effondrement de sociétés complexes.