21 novembre 2024

L’agriculture biologique trahie par les partis écologistes

La prise en compte du grave problème de l’adaptation de la production alimentaire aux conditions variables générées par le niveau d’industrialisation de la société s’est traduit, au niveau des instances du pouvoir, et avec la complicité des partis politiques dits « écologistes », par l’élaboration d’un catalogue labellisé par un organisme monopolistique public, dénommé « Agence Bio », qui illustre de façon aveuglante l’alliance de l’état avec l’ecolobusiness. Cette agence publique décerne généreusement des agréments à quelques sociétés privées népotiques, telles Ecocert, Aclave, Agrocert, ou Qualité France, tous dénommés « organismes certificateurs », leur octroyant ainsi l’autorisation officielle de délivrer des certifications AB aux producteurs, ces derniers étant toutefois invités à verser 1% de leur chiffre d’affaires aux sociétés précitées. Nous voyons donc bien que, à l’identique du système « Eco-emballages / Adelphe » pour la collecte des déchets, le problème sanitaire posé par la transformation des produits de la terre en marchandises manufacturées devient source de profits pour les éco-profiteurs habilement positionnés sur le créneau.

Mais si l’agriculture industrielle conduit, sur le terrain, à une surexploitation des surfaces cultivées elle laisse paradoxalement en jachère l’idéologie écologiste. Déjà, dans l’ancien projet EELV paru en 2012 et pompeusement dénommé « Vivre mieux – Vers une société écologique » 80 lignes (ligne 410 à 490) à peine sur 3200 (soit 2,5%) étaient consacrées à l’agriculture, au cours desquelles on aurait vainement cherché des propositions concrètes et fortes sous tendues par une vision globale et radicale. Mis à part les éternelles diatribes sur les OGM, source inspiratrice paranoïaque mais néanmoins juteuse pour certains acteurs médiatiques, dont le faucheur en chef J. Bové qui avait su traduire son lever de menottes en salaire mensuel d’eurodéputé, cet ancien projet EELV, riche pourtant en propositions hardies de toutes sortes dans des domaines aussi variés que le logement, l’éducation, le chômage, la drogue, l’homosexualité, la parité, la Corse, la justice, l’Europe, etc, se révélait particulièrement indigent dans son chapitre agricole. Se contentant d’ânonner des banalités et lieux communs sur le sujet, il se défaussait de cette carte encombrante en confiant à l’état et aux sociétés capitalistes adoubées, le soin de tranquilliser la plèbe avec des étiquettes blanches didactiques et des logos verts rassurants.

Dans son projet pour l’élection présidentielle de 2022 dénommé “Pour une république écologique”, c’est seulement 3 petites pages sur 90, soit le même pourcentage qu’en 2012 consacrées à l’agriculture et truffées des mêmes indigentes banalités toutefois sensiblement affadies puisque l’agriculture biologique fait place à l’agriculture paysanne tautologie navrante grâce à laquelle nous apprenons qu’il vaut mieux interdire la publicité pour les produits alimentaires toxiques que se donner les moyens d’empêcher leur fabrication.

Plus récemment encore, le parti écologiste s’est mis en tête de s’intéresser à l’après-croissance, sans que nous sachions très bien s’il le souhaite (volontairement) ou s’il le pronostique (inéluctablement). Cet après-croissance qu’il dénomme post-croissance dans son nouveau Projet Ecologiste Bien Vivre ne laisse pas une place plus grande à l’agriculture (1 chapitre seulement sur 30).

Et pourtant la vague écologiste est bien née des préoccupations alimentaires et des problèmes posés par l’intensification de la production agricole. Le premier candidat écologiste aux élections présidentielles fut l’agronome René Dumont en 1974 et pendant longtemps, il ne parut pas imaginable de se prétendre écologiste sans afficher une solide analyse de la problématique agricole. Mais ce sujet par trop ingrat a fini par lasser les leaders et les militants qui, en plus de toucher à des informations qu’ils ne maîtrisaient pas, ne semblait pas constituer pour eux un élément suffisamment fort de la société du spectacle à laquelle ils s’étaient désormais convertis.

Il suffit donc aujourd’hui de prôner l’agriculture biologique en tant que vague modèle économique et de préconiser les produits AB en tant qu’aliments acceptables pour se voir décerner le diplôme de parfait écolo. Or l’imposture est flagrante, d’une part parce que le débat de l’adaptation du mode de production aux conditions, soit de la décroissance subie, soit du développement durable n’est pas tranchée, et que, d’autre part, le fameux label AB agréé par l’Etat Tout Puissant, jouant ici le rôle tartuffien d’Etat Grand Ecologiste, est à l’agriculture biologique ce que les Déclaration de Droits de l’Homme est à la liberté individuelle, c’est à dire tout et son contraire.

La formulation en trompe l’œil inaugurée par les rédacteurs bourgeois de la Déclaration de 1789, confortée par leurs descendants dans la Constitution de 1848, puis utilisée à de nombreuses reprises dans divers conventions ou protocoles, dénoncée par Marx comme “la vieille plaisanterie”, et qui consiste à énoncer un principe en début de phrase pour mieux le restreindre ou le rendre inapplicable par l’énonciation d’un codicille en fin de phrase, trouve dans le texte réglementant le prolifique label AB un énième usage, ici toutefois sensiblement inversé dans la mesure où il s’agit plutôt de proclamer fortement une interdiction pour aussitôt livrer au subissant putatif la subtile manière de s’en exonérer.

La petite merveille s’appelle « Règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil de l’Union Européenne du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement(CEE) no 2092/91 ». Cette véritable bible rédigée au Luxembourg, sur l’avis du Parlement européen de Bruxelles, définit en 23 pages et 1840 lignes les règles applicables à l’agriculture dite « biologique » en prenant bien garde de ne pas trop s’éloigner de l’agriculture intensive. Ce document débute par l’énoncé de 37 principes successifs censés justifier la nécessité politique de sa mise en œuvre, dont le premier est ainsi rédigé : La production biologique est un système global de gestion agricole et de production alimentaire qui allie les meilleures pratiques environnementales, un haut degré de biodiversité, la préservation des ressources naturelles, l’application de normes élevées en matière de bien-être animal et une méthode de production respectant la préférence de certains consommateurs à l’égard de produits obtenus grâce à des substances et à des procédés naturels. Le mode de production biologique joue ainsi un double rôle sociétal : d’une part, il approvisionne un marché spécifique répondant à la demande de produits biologiques émanant des consommateurs et, d’autre part, il fournit des biens publics contribuant à la protection de l’environnement et du bien être animal ainsi qu’au développement rural.

D’emblée le ton est donné, par l’utilisation d’un charabia technocratique tissé de clichés médiatiques et de formules manichéennes. Ainsi nous sommes informés que l’agriculture biologique se propose d’utiliser les « meilleures pratiques environnementales », au contraire sans doute d’une autre agriculture non biologique qui préfère utiliser de « mauvaises pratiques » environnementales. L’ostracisme est ainsi clairement prononcé à l’encontre des autres agriculteurs, mais il conviendrait alors de signaler, pour être totalement juste, que l’homme a cessé d’utiliser les « meilleures pratiques environnementales » depuis déjà bien longtemps, c’est-à-dire dès lors qu’il a abandonné son statut de chasseur-pêcheur-cueilleur pour pratiquer tout simplement l’ « agriculture », première action anthropique de destruction du milieu ambiant, et, par voie de conséquence, première « mauvaise pratique environnementale » en comparaison du stade précédent – proche de ce que d’aucun nomment aujourd’hui « l’écologie profonde » – et qui constituait, à n’en point douter la « meilleure pratique environnementale qui soit ». Le salut réside donc dans la définition du « meilleur », ce qui n’est pas une nouveauté et ouvre la porte à toutes les querelles simili subjectives ou pseudo objectives.

Nous apprenons ensuite que le « meilleur de l’environnemental » va de pair avec un haut degré de biodiversité, ce qui ne veut pas dire grand-chose mais permet de placer ici ce terme médiatiquement tendance ; qu’il va de pair aussi avec la préservation des ressources naturelles, déclinaison du fameux concept de préservation de la planète, ce qui laisse faussement imaginer que cette agriculture dédaigne l’utilisation du pétrole, du gaz, du fer, du cuivre, etc…., bref de tout de qui est non renouvelable ; qu’il va de pair encore avec le respect du bien être animal, ce qui ferait sans doute plaisir à Brigitte Bardot mais apparaît manifestement peu compatible avec les nécessaires mises à mort destinées à palier nos besoins alimentaires carnés. Concernant ce dernier sujet, il conviendrait d’ailleurs d’observer que le « meilleur » du respect pour le bien-être animal consisterait évidement à ficher carrément la paix à nos amis les bêtes.

Mais l’essentiel est à venir ici : « une méthode de production qui…. ». Supputant que notre curiosité technique va être enfin assouvie par un discours exposant les principes d’un mode opératoire rigoureux, nous découvrons alors avec surprise que la vocation principale de ce type d’agriculture est de « satisfaire la préférence de certains consommateurs à l’égard de produits obtenus grâce à des substances et à des procédés naturels…… ». Le raisonnement du Conseil de l’Europe, adoubé par les Bendit, Bové, Joly & consorts confirme ainsi l’idée que les écologistes sont bien un rouage à part entière de la société capitaliste qui fonde sa doctrine sur l’exploitation de toutes les niches marketing, si réduites soient elles, sans distinction de race ou de religion. Conformément à cette philosophie d’œcuménisme commercial, il convient par conséquent de ne pas négliger « certains » consommateurs (plus délicats que d’autres, sans doute plus avisés, voire plus fortunés) et de répondre ainsi à une demande de la main invisible du marché réclamant explicitement des produits « naturels », ce qui exprime clairement la certitude que tous les produits de l’agriculture non labellisé AB sont artificiels. La conclusion confirme enfin la confusion des genres en nommant « rôle sociétal » l’ « approvisionnement d’un marché spécifique », mêlant ainsi projet social et objectif marchand, et liquide l’affaire en ressortant encore un fois les deux atouts imparables que sont le populaire « environnement préservé » et l’émouvant « animal bien-étant ».

Ce baragouinage amphigourique ne peut que faire sourire l’agriculteur de terrain – bio ou pas – qui n’a certes pas de leçons à recevoir de technocrates réglementaristes, peu éclairés de la chose paysanne ou phagocytés par l’appareil spectaculaire. Cette nouvelle « conspiration pour le système » ne vise en fait qu’à désamorcer d’éventuelles véritables mises en cause plus radicales de la société marchande. L’exploitant agricole sait parfaitement ce qu’il fait et connaît mieux que quiconque le « meilleur » pour l’environnement et pour l’animal. Il ne souffre par ailleurs d’aucun travers déviant lorsqu’il épand au mois d’avril de l’ammonitrate sur son orge désherbée au Round Up en février, mais satisfait tout simplement aux obligations économiques de son exploitation hypothéquée au Crédit Agricole et chez Massey Fergusson.

Il est symptomatique de constater que le terme « engrais » n’est employé que 9 fois, alors que celui « OGM » apparaît à plus de 43 reprises, ce qui signifie clairement que l’épineux problème des amendements chimiques autorisés en AB tente d’être masqué par l’écran de fumée OGM. Ainsi, en affichant ostensiblement son opposition radicale aux OGM (qui constituent le seul élément rejeté sans dérogation) le règlement tente de masquer son laxisme sur tous les autres sujets.

Une lecture plus avancée permet même de découvrir en définitive un véritable rapprochement avoué de la pratique biologique et de la pratique conventionnelle, chaque fois que la nécessité s’en fait sentir. Exemples :

Article 5 page 7 : Restreindre l’utilisation d’intrants extérieurs. Lorsque leur utilisation est nécessaire ou en l’absence des pratiques et méthodes de gestion appropriées visées au point a) (méthodes bio), elle est limitée aux : 1.substances naturelles ou substances dérivées de substances naturelle 2.engrais minéraux faiblement solubles – Limiter strictement l’utilisation d’intrants chimiques de synthèse aux cas exceptionnels suivants : 1) en l’absence de pratiques de gestion appropriées. 2) lorsque les intrants extérieurs visés au point b) ne sont pas disponibles sur le marché ; ou 3) lorsque l’utilisation des intrants extérieurs visés au point b) contribue à des effets inacceptables sur l’environnement ;

Article 16 page 12 : La Commission, conformément à la procédure visée à l’article 37, paragraphe 2, inclut dans une liste restreinte les produits et substances susceptibles d’être utilisés, en agriculture biologique,… Les produits et substances figurant sur la liste restreinte ne peuvent être utilisés que dans la mesure où l’utilisation correspondante est autorisée dans le cadre de l’agriculture générale dans les États membres concernés ….. tous les produits et substances sont d’origine végétale, animale, microbienne ou minérale, sauf si des produits ou des substances provenant de ces sources ne sont pas disponibles en quantité ou en qualité suffisante ou s’il n’existe pas d’autre solution ;

Au-delà du caractère technique de ce verbiage circonvolutif, le lecteur, même non initié, aura vite compris que cette directive européenne sur l’agriculture biologique n’a de cesse de ménager la chèvre naturelle et le chou chimique, en attifant chaque commandement restrictif ou rédhibitoire d’un panache de fumée possiblement permissif. C’est la vieille plaisanterie marxiste inversée qui pourrait se résumer ainsi : « telle chose est interdite, sauf s’il n’existe pas d’autre solution ….. » C’est ainsi que nous voyons fleurir en toutes saisons des agrobiologistes commerçant sur internet via paiement Paypal, proposant des packages maraîchers livrés à domicile en BMW dernier modèle et dont l’accès à l’exploitation n’est pas souhaité pour des clients-visiteurs-promeneurs désireux de poser des questions candides. Mon propos n’est pas, bien entendu, de jeter le discrédit sur ces nouvelles pratiques durables car il serait peu correct de blâmer des travailleurs indépendants soucieux à juste titre de gagner leur pain quotidien d’une manière au demeurant très adaptée aux conditions socio-économiques de la civilisation actuelle et déployant de réels efforts plutôt quantativement supérieurs à ceux comptabilisés par la moyenne de la population laborieuse.

Toutefois, en tant que pionnier anonyme de l’agriculture biologique dans les années soixante dix, je me contenterais de ranimer le souvenir pas si lointain des premiers labels Lemaire-Boucher ou Nature & Progrès qui limitaient notre plan fumure au compost organique éventuellement additionné de lithotamme des Glénans, notre pratique fongicide au sulfate de cuivre (bouillie bordelaise) et au soufre, notre lutte insecticide au pyrèthre et à la roténone, et nos traitements vétérinaires aux déglutitions forcées de chlorure de magnésium par pistolet doseur. Aujourd’hui, en agrobiologie, la liste est longue des « intrants dérivés » autorisés sur la liste générale et des « intrants chimiques de synthèse » admis sur la liste restreinte du label AB. Ce dispositif byzantin présente à n’en pas douter les apparences d’une plaisanterie, malheureusement ce n’en est pas une…. Il s’agit tout simplement d’une imposture politiquement et médiatiquement assumée en secret.

Débarrassés de leur hypocrisie et de leur suffisance pseudo scientifique, les 23 pages et 1840 lignes du Règlement européen pourraient être ramenées à ces quelques lignes : « Les instances autorisées à légiférer sur l’agriculture biologique considèrent que le mode de production intensif basé sur l’utilisation des ressources fossiles non renouvelables est le seul permettant aujourd’hui de nourrir à bas prix les populations grandissantes en nombre. Toutefois, afin de satisfaire à la tocade d’un petit effectif polarisé sur le terme « naturel », un label est créé réglementant les modes de production des produits dits « naturels ». Le principe retenu est d’établir une liste de 10.000 substances, choisies parmi les moins outrageusement chimiques, produites par l’industrie phytosanitaire conventionnelle et d’autoriser leur emploi, tout en permettant de recourir à toutes les autres substances de synthèse si cela ne marche pas. »

Plus raisonnablement, et afin de ne pas me cantonner dans un discours critique borné, je me permettrais de conseiller à nos faux amis écologistes de prendre l’affaire par l’autre bout et de tenir compte de l’agriculteur avant le consommateur. En effet, si l’on envisage d’inverser le cours d’un fleuve tranquille, il convient d’agir sérieusement en amont plutôt que de bricoler des initiatives en aval. Je renverrais également nos imposteurs à la lecture d’André Pochon (Les champs du possible – 1999) qui, sans être écologiste déclaré, a consacré son action à démontrer que l’agriculture industrielle basée sur la monoculture intensive est moins rentable pour le paysan que l’agriculture raisonnable basée sur la polyculture élevage, ce qui est une évidence pour tous les connaisseurs, sauf bien sûr pour les écologistes qui préfèrent une agriculture industrielle durable n’utilisant que des substances répertoriées dans des catalogues interminables. Cette agriculture bio-technocratique qui ne peut se pratiquer qu’avec un ordinateur de bord et un contrôleur grassement payé posté derrière chaque exploitant procède d’une vision réglementariste, autoritaire et étatique qui ignore le bon sens rural, celui qui considère, par exemple, qu’une vache « c’est une barre de coupe à l’avant et un épandeur à l’arrière » économisant ainsi le tracteur, la faucheuse rotative, l’andaineur, la botteleuse presse, le monte balle, le distributeur d’engrais, etc… ainsi que le carburant nécessaire à la réalisation de toutes ces opérations successives.

Par bonheur la raréfaction prochaine, puis l’épuisement final des ressources fossiles rendront bientôt ces catalogues, règlements et labels dérisoires puisque, faute de carburant et de fertilisants, l’agriculture sera contrainte à la raison par la force de l’histoire.

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