Dans la société actuelle, comme dans la plupart des sociétés antérieures, le financement de l’Etat est assuré par le prélèvement pécuniaire sur les individus. Ce prélèvement est exercé par la force, dans la mesure où aucun individu ne peut s’y soustraire sans encourir une sanction. L’Etat moderne dit démocratique exerce ce pouvoir sous le couvert du principe du « consentement à l’impôt » qui se trouve exprimé de façon sibylline dans l’article 14 de la DDHC : Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. Comme à son habitude, la constitution entoure d’un flou politique la définition d’un concept pourtant fondamental, et, dans le cas présent, utilise même le stratagème de l’incompréhensibilité pour tenter de masquer la contrainte. Que penser en effet de cette partie de phrase : Tous les Citoyens ont le droit de la consentir librement. ? Ceci ne veut absolument rien dire. Qu’est-ce, en effet, que le droit de consentir librement à un prélèvement pécuniaire ? Faut-il comprendre que le citoyen a le droit d’accepter l’impôt ? Si c’est le cas, cela signifie qu’il a également le droit de ne pas l’accepter. Dire qu’on a le droit d’accepter une contrainte est une perversion du raisonnement particulièrement criante, surtout si l’on veut démontrer par là que la contrainte est objectivement acceptée.
Il eut été plus loyal et plus honnête de formuler ainsi l’article 14 de la DDHC : Tous les Citoyens sont tenus d’approuver la nécessité de la contribution publique et de la payer. Accessoirement il ont le droit, par eux-mêmes ou par leurs représentants d’en suivre l’emploi. Par contre il revient le droit à leurs représentants seuls d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. C’est ainsi, et pas autrement qu’il faut lire cet article 14. Pour autant, cette formulation trompeuse ne déclenche pas de polémique dans l’opinion publique, tant chacun reste persuadé que le prélèvement obligatoire de ses revenus par l’Etat est une donnée incontournable, voire génétique, de l’organisation sociale, au même titre que le soleil est nécessaire à la vie sur terre. En résumé, peu importe la formulation, pourvu qu’on ait l’impôt…..
Selon le philosophe américain Murray Rothbard, « l’Etat est une énorme machine de violence et d’agression institutionnalisée pour obtenir des biens, et donc une association de malfaiteurs dont le statut moral se distingue radicalement de celui des propriétaires légitimes ». Sans aller jusque là, il faut bien reconnaître que l’Etat tire ses revenus de la spoliation, même si les mots impôt, contribution ou prélèvement sonnent plus doux aux oreilles des contribuables. Dans ces conditions, supprimer l’impôt parce qu’il est immoral reviendrait à supprimer l’Etat. Mais la vraie question qui se pose, si nous considérons qu’une forme d’organisation collective doit exister est : « Y a t-il un autre moyen que le prélèvement fiscal obligatoire pour financer cette organisation ? » . A cette question, il faut se garder de répondre « non » sans avoir réfléchi en profondeur à la question, car nous ne ferions que reproduire le contenu d’un imaginaire colonisé depuis des siècles par les hommes du pouvoir. Car l’une des performances les plus remarquables de cette oligarchie politique, par delà sa transmutation historique en diverses formes d’oppression (tribus, féodalité, monarchie, démocratie représentative, etc..), est d’avoir fermement ancré dans l’inconscient collectif le caractère inné et inéluctable de l’impôt. De sorte que le seul débat autour de lui porte sur son ampleur et sa configuration, mais jamais sur sa pertinence. Cette anomalie fait de lui le seul concept politique non contesté, assorti même d’une crainte manifeste à le faire à tel point qu’on pourrait se demander pourquoi il ne fait pas l’objet d’une loi d’interdiction de mise en cause, similaire aux lois punissant la contestation de certains faits. Ainsi controverser l’impôt pourrait devenir un acte « négationniste » et, de ce fait, passible de lourdes sanctions.
Mais revenons à notre question fondamentale : « Y a t-il un autre moyen que le prélèvement fiscal obligatoire pour financer l’Etat ? » . Une partie de la réponse à cette question dépend du contenu des attributions de l’Etat, car un mode de financement donné pour un faible volume de missions pourrait s’avérer inadéquat pour un volume plus élevé. A ce point du raisonnement, nous devons considérer si le principe de financement doit déterminer la forme de l’Etat ou si, au contraire c’est à partir de la détermination d’une configuration voulue de l’Etat qu’il faudra se pencher sur le mode de financement permettant d’asseoir cette configuration. En conformité avec notre démarche d’édictions de principes clairs et forts définissant la liberté, l’égalité et la solidarité, nous devons nous prononcer au préalable sur le concept même de prélèvement obligatoire afin de juger s’il est compatible avec ces mêmes principes. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, sans l’avoir vérifié, la constitution actuelle n’apporte aucune justification de l’impôt. Bien au contraire, ni l’article 5 indiquant que : La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas, ni l’article 14 cité plus haut n’indiquent expressément que la loi peut exercer une contrainte obligatoire sur l’individu hors d’une situation donnée. Dans les faits, seule la loi fiscale est de cette nature, avec l’obligation de scolarisation et l’ex-loi de conscription . Il semble pourtant que cette notion de contrainte générale soit suffisamment grave pour qu’elle nécessite une inscription claire dans la Constitution, or cela n’est pas la cas. Le fait d’obliger un individu à faire est en effet beaucoup plus coercitif du point de vue de l’empiètement sur la liberté individuelle que celui de l’empêcher de faire. Dans le deuxième cas, le législateur peut toujours arguer du critère de nuisance défini dans l’article 4 et se fonder sur la nécessité de préserver la liberté d’autrui. Dans le premier cas, le fait d’obliger à faire ne peut pas être justifié par la protection de la nuisance, mais devrait l’être par un autre principe qui, il faut bien le constater, n’est défini nulle part.
C’est la raison pour laquelle nous avons pensé nécessaire de définir les limites de la loi, et notamment de lui interdire d’édicter des contraintes en dehors de toutes contingence (voir 3ème principe du Programme pour une société de l’après croissance). De ce point de vue, la notion de prélèvement obligatoire n’est donc pas recevable et il convient d’imaginer un financement de l’Etat autre que celui réalisé par l’impôt. Il convient également de bien comprendre que la notion de prélèvement obligatoire dépasse celle de l’impôt et qu’elle recouvre également toutes les cotisations sociales et taxes locales existantes.
Mais au rejet du système de prélèvement obligatoire pour une raison basé sur le respect d’un principe de liberté, peut s’ajouter une autre raison basée, celle-ci, sur le respect d’un principe d’égalité. L’Etat, en effet, est la seule organisation qui ne tire pas son revenu du travail, mais d’une spoliation, et dont le montant de ce même revenu n’est pas proportionnel à son niveau d’efficacité. L’Etat, de plus, n’est pas soumis à la sanction pécuniaire en cas de manquement à la qualité de sa prestation.
Pour toutes ces raisons, il convient d’imaginer une autre forme de financement que le prélèvement obligatoire, c’est à dire un système qui permette à l’Etat d’obtenir son revenu à partir de la valorisation de son travail, et sans avoir recours à la spoliation fiscale.
Ce système est facile à imaginer. Il suffit pour cela de se calquer sur une logique d’entreprise et de la coupler avec une logique de service public. L’Etat trouve sa justification, en premier lieu, par la volonté de la collectivité de créer des services publics gratuits et de les proposer au bénéfice de chaque individu. Il peut s’agir de la police, de la justice, de l’enseignement, de la santé, les transports urbains, par exemple, si la collectivité choisit de s’octroyer ces services-ci. Comment financer ces services publics gratuits autrement que par l’impôt ? La réponse logique est : avec les bénéfices d’autres activités commerciales payantes gérées également par l’Etat. Ainsi, on pourrait penser à l’énergie, au transport aérien, au transport ferré non urbain, aux télécommunications, à la métallurgie, etc… autant d’activités génératrices de bénéfices lors de la vente des produits au grand public. L’Etat n’étant pas supposé faire une utilisation spéculative, thésaurisatrice ou consommatrice des bénéfices des activités dont il a la charge, serait donc missionné pour les utiliser au financement de ses services publics gratuits. Les bénéfices commerciaux ainsi générés n’auraient ainsi pas une nature de prélèvement obligatoires, mais plutôt de taxe sur la consommation et, de ce fait, ne comporteraient pas ce caractère coercitif que nous rejetons. Du point de vue de la justice sociale, et également du point de vue de l’empreinte écologique, ce seraient les grands consommateurs (privés ou professionnels) d’énergie (transports, électricité) et de matière minérale (acier, métallurgie) qui contribueraient au financement des services publics gratuits. Par ailleurs, le caractère coercitif serait gommé puisqu’il resterait loisible au contempteur de l’Etat de ne pas consommer ces services, et par voie de conséquence de ne pas financer des services publics qu’il n’approuverait pas.