Le 10 avril 2024, L’assemblée Nationale a adopté le texte définitif du projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, dit Loi SREN. Cette loi fleuve, qui contient pas moins de 64 articles, a une apparence de loi vertueuse puisqu’elle vise à protéger les enfants des sites pornographiques , contrer les arnaques en ligne, réduire la dépendance des entreprises aux fournisseurs d’informatique en nuage (dit “cloud”, marché aujourd’hui concentré dans les mains de trois géants numériques américains : Amazon, Microsoft et Google), réguler les locations touristiques via les plateformes en ligne (Airbnb), réguler les jeux numériques monétisables web3 (Jonum), déléguer de nouveaux pouvoirs pour les autorités chargées d‘appliquer le règlement sur les services numériques (Digital Services Act- DSA) et le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act- DMA). Tout cet attirail législatif paraît, à première vue, aller dans un sens consensuel pour les principales tendances politiques de l’oligocratie puisque ce projet de loi a été voté sans problème lors de cette séance.
Sauf que ! …. Le problème, réside dans un petit article (l’article 19 très précisément) qui ne figurait pas dans le projet de loi initial mais qui a été ajouté subrepticement par le truchement du fameux système des amendements (système controversé dont il faudra bien un jour dénoncer le caractère toxique et confusionniste) et qui introduit un délit nouveau : l’outrage en ligne. Cette nouvelle infraction est caractérisée par la “diffusion en ligne de tout contenu qui, soit, porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit, crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante“. La sanction prévue est de “3 750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement“, sanction pouvant être “évitée par le paiement d’une amende forfaitaire de 300 euros” après constat et appréciation de l’infraction par un simple officier de gendarmerie.
Cet article consacre un délit particulièrement large, aux contours extrêmement flous et dont l’appréciation parait particulièrement délicate, pour ne pas dire impossible. Ainsi, sur le fondement de cet article, écrire par exemple que “le Ministre des finances est totalement incompétent” tomberait sous le coup de la loi en ce sens qu’il porterait atteinte à sa dignité, qu’il présenterait un caractère dégradant et humiliant et qu’il créerait à son encontre une situation offensante, voire qu’il déclencherait l’hostilité d’une partie de la population rendue mécontente des mesures fiscales qu’il aurait imposé. De par l’application de cette loi, celui qui aurait écrit cela encourrait 3.750 euros d’amende et un an de prison !…
Cet article 19 méconnait manifestement le droit à la liberté d’expression consacré par les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen, partie intégrante de notre constitution. Par surcroît, et ajoutant ainsi au comble de de l’inconstitutionnalité, il habilite les représentants des forces de l’ordre (police, gendarmerie), en dehors de toute procédure judiciaire contradictoire, à dénoncer et apprécier la caractérisation du délit créé, méconnaissant ainsi certaines dispositions précédemment énoncées par le Conseil constitutionnel en matière d’amende forfaitaire.
Pour toutes ces raisons, l’association Recours Constitution a entrepris de saisir de cette affaire et, dans le même temps, lance un appel à tous les députés et sénateurs soucieux de préserver la liberté d’expression en France afin de saisir le Conseil Constitutionnel pour qu’il censure cet article 19.